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3 avril 2020

Littérature

Un bon écrivain aujourd’hui est un écrivain rentable pour l’industrie du papier qu’il représente (que d’aucuns appellent encore crânement une maison d’édition). Par rentable, entendez non seulement productif, mais surtout capable d’améliorer la productivité de son entreprise. Pour cela, il doit écrire des romans; pas de nouvelles, pas de fresques et certainement pas de poésie ! Les nouvelles sont trop courtes pour engendrer l’évasion nécessaire à l’ennuyé en quête de sacré bon marché, les fresques trop longues pour l’homme moderne caractérisé par une impatience puérile notoire. Quant à la poésie, n’en parlons même pas puisqu’elle s’adresse à des gens sensibles, espèce disparue depuis longtemps dans ce monde obsédé par les apparences et par l’argent !

Des études scientifiques ont prouvé que le nombre de pages idéal pour un livre s’élevait très exactement à 234. Toutefois, une marge de ± 123.73 % est autorisée pour permettre au plus grand nombre de respecter les standards de qualité ISO 9012 imposés par l’O.I.N.E., l’Ordre Intemporel pour la Notoriété des Écrivains, qui se trouve être par la même occasion l’Organisme International des Normes en Entreprise.

Le roman à lui seul ne suffit cependant pas : il faut que ce soit bien écrit. Il faut donc impérativement que le roman en question puisse être classé dans l’une des catégories suivantes :

- le roman-éponge : 234 pages gorgées de sentiments et d’émotions à faire pleurer le PDG d’une multinationale sur le point de licencier 15 000 personnes à l’autre bout de la Terre.

- le roman-trottoir : 234 pages racoleuses sur les scandales du moment, les affaires les plus glauques, pour les personnes appréciant la déchéance publique des autres (une forme de voyeurisme mal assumée).

- le roman-abattoir : 234 pages de sensations fortes, adrénaline et testostérone en overdose, pour les personnes cherchant désespérément à se sentir encore vivantes dans leur extrême solitude, en quête d’un traumatisme masochiste limité ou d’une jouissance morbide contrôlée.

- Le roman-braderie : 234 pages regroupant tous les autres domaines et dont le but principal est de divertir sans troubler. De la pseudo-philosophie est alors nécessaire pour offrir au lecteur des phrases charnières prémâchées qu’il pourra ensuite facilement s’approprier pour ne pas avoir la très désagréable impression d’avoir lu inutilement (le monde moderne a horreur de ce qui est inutile). Ces phrases ne doivent pas être trop simples pour éviter de découvrir qu’elles sont creuses, ni trop complexes de peur de décourager le lecteur par un soudain complexe d’infériorité ou pire, de l’inciter à réfléchir : ce serait une perte de temps et plus personne n’a le temps de perdre son temps à penser dans le but de le reconquérir intelligemment… Laissons donc les autres « pseudo-penser » pour nous.

Le bon écrivain se doit enfin de gagner des prix littéraires pour que les journalistes s’empressent de les associer à son entreprise (la maison d’édition) dans la rubrique économique des groupes qui réaliseront cette année un bon chiffre d’affaires.

Moi, je ne rêve que d’une chose dans toute cette histoire : devenir un jour, à force de patience et de persévérance, un mauvais écrivain !

 

N.B. Ce texte ne s’adresse en aucun cas à mon très exceptionnel éditeur qui se trouve évidemment bien au-delà de toutes les considérations mesquines qui auront pu se glisser par mégarde dans les quelques lignes précédentes…

 

Copyright © 2008 L'Œil

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