Tu seras un homme, un vrai
Tu seras un homme, un vrai
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Sans chercher à te contenir
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Et, ivre de colère, autour de toi tout démolir;
Si tu peux être amant et être fou d’amour,
Si tu peux être fort et cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, aisément haïr à ton tour
Pour attaquer souvent et parfois te défendre;
Si tu peux calomnier sans le moindre regret
Pour attirer les gueux et exciter les sots,
Si tu peux travestir chacune de tes pensées
Pour tout obtenir en quelques mots;
Si tu peux être indigne, si tu sais être populaire
Pour tout exiger du peuple et devenir son Roi,
Si tu peux leurrer tous tes proches en les nommant tes frères
Sans qu’aucun d’eux ne se détourne de toi;
Si tu sais épier, ignorer et ordonner
Pour devenir égoïste ou destructeur,
Envier et laisser ton ambition te dévorer,
Pérorer et te présenter comme un penseur;
Si tu peux être dur, si tu sais éclater de rage,
Si tu peux être lâche tout en restant imprudent,
Si tu peux éviter d’être bon ou sage
Pour rester immoral ou pédant;
Si tu peux rencontrer Triomphe sans Défaite
Et rester obsédé par ces deux démons;
Si tu peux conserver ta fortune et ta tête
Quand tous les autres sur l’échafaud la perdront;
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes maîtres du vice,
Et, à travers ton insatiable désir de Gloire,
Tu seras bien un homme*, mon fils.
* Afin d'éviter toute interprétation féministe incongrue, car réductrice, il convient de signaler que le terme "homme" doit ici être compris comme "être humain"...
© 2008 L'Œil