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23 février 2019

Il n’y a plus de saisons !

Il n’y a plus de saisons !

 

Le client. Bonjour, je cherche le rayon des maillots de bain…

Le vendeur. Le rayon des maillots de bain ? Mais, monsieur, nous sommes en juin, ce n’est plus du tout la saison !

Le client. Ce n’est plus du tout la saison ? Comment ça ? C’est tout de même l’été, que je sache !

Le vendeur. Certes, nous sommes en été, mais plus personne ne vend de maillots de bain en ce moment. La saison des maillots de bain a lieu en janvier maintenant…

Le client. En janvier ! Mais alors, vous vendez quoi en ce moment ?

Le vendeur. Cette semaine, nous vendons les cartables pour la rentrée…

Le client. Ça tombe bien, je vais en profiter pour en prendre un pour mon fils : il rentre au CP en septembre !

Le vendeur. Quoi ! Vous n’avez pas encore acheté le cartable de votre fils pour la rentrée prochaine ?

Le client. Non, mais ce n’est pas gênant puisque vous les vendez actuellement.

Le vendeur. Mais vous ne comprenez pas ! Les cartables en vente dans le rayon qui se trouve en face de vous concernent la rentrée qui aura lieu dans un peu plus d’un an. Les cartables destinés à la rentrée de cette année ont déjà été vendus en février dernier !

Le client. Ah bon ! Déjà ?

Le vendeur. Mais oui !

Le client. Ce n’est pas très grave. Il me suffit d’en prendre un maintenant et tout rentrera dans l’ordre.

Le vendeur. Mais vous ne comprenez pas ! La mode des cartables de l’année prochaine ne correspond pas du tout à celle de cette année ! Si vous achetez pour votre fils un cartable qui ne sera à la mode que dans un an, il va se faire atrocement humilier et exclure par les autres élèves au cours de sa première année ! C’est très grave !

Le client. À ce point-là ?

Le vendeur. Mais oui ! Vous n’imaginez pas à quel point il est important de nos jours pour un être humain de ressembler en tout point au reste du groupe auquel il souhaite appartenir pour y être intégré !

Le client. Vous avez raison. Mais comment vais-je faire pour trouver le cartable adéquat pour la rentrée de cette année ?

Le vendeur. Je ne vois qu’une seule solution : vous allez devoir agresser l’un des élèves lors de la rentrée scolaire pour vous procurer son sac et le donner à votre fils. À moins que ce ne soit directement votre fils qui le fasse ! Après tout, agresser un autre élève pour un rien et le filmer gisant à terre dans son sang avec un portable est une pratique courante à l’école de nos jours…

Le client. Ma foi, je crois qu’il n’y a plus que ça à faire ! Merci de votre aide…

Le vendeur. Attendez, ne partez pas ainsi. Vous oubliez de prendre le cartable de l’année suivante !

Le client. J’ai encore un peu de temps tout de même, non ?

Le vendeur. Mais vous ne comprenez pas ! Ces cartables ne seront plus en vente la semaine prochaine car la saison sera terminée. Si vous n’en prenez pas un maintenant, vous vous retrouverez dans un an dans la même situation que cette année !

Le client. Bah, il suffira d’agresser quelqu’un d’autre l’année prochaine !

Le vendeur. Vous oubliez que la nouvelle loi sur la délinquance juvénile fait de chaque mineur un criminel endurci, irrécupérable, à réprimer à mort dès son plus jeune âge, afin qu’il devienne encore plus terrible avec le temps ! Même si le phénomène de « Barbarie Sympathique » est largement apprécié à l’école en ce moment grâce aux innovations constantes des constructeurs de portables, si soucieux de donner aux hommes les moyens dont ils ont besoin pour exprimer leur grandeur d’âme, il faut savoir rester prudent !

Le client. Vous avez raison ! Je vais prendre un de ces cartables, c’est plus sûr !

Le vendeur. N’oubliez pas non plus de prendre dans le rayon juste à côté le cartable qui sera à la mode dans deux ans.

Le client. Ah bon ! Celui-là aussi est déjà en vente ?

Le vendeur. Oui ! Avec celui qui sera valable dans trois ans, que vous trouverez dans le rayon d’après, et celui qui fera fureur dans quatre ans, dans le rayon suivant.

Le client. Et tous auront disparu la semaine prochaine ?

Le vendeur. Tout à fait ! La semaine prochaine, nous attaquons la quinzaine du blanc qui sera valable dans cinq ans.

Le client. Pour le blanc, c’est moins gênant…

Le vendeur. Détrompez-vous, cher monsieur. Ce n’est pas le même blanc que nous vendons d’une année sur l’autre ! Si vous ne venez pas la semaine prochaine pour être aux normes dans cinq ans, vos invités, vos amis, votre famille, vous considéreront – vous et vos proches – comme de véritables ringards lorsqu’ils viendront chez vous. J’espère que vous vous êtes mis à jour pour les quatre années qui vont précéder : remarquez, si ce n’est pas le cas, comme nous avons organisé ces ventes il y a seulement deux mois et qu’il nous en reste encore un peu en stock, nous pourrons nous arranger, j’en suis certain !

Le client. Ouf ! Vous me rassurez…

Le vendeur. Et si vous voulez préparer les choses avec un peu d’avance, sachez que dans trois semaines nous proposerons une gamme entière de cadeaux pour la Saint Valentin qui aura lieu dans dix ans et que dans un mois, nous ferons des offres exceptionnelles pendant six semaines pour les fêtes de fin d’année qui auront lieu dans vingt ans ! J’espère que vous avez déjà tout prévu pour les années qui précéderont, sans quoi vous risquez d’avoir de sérieux problèmes avec votre entourage ! Vous ne voulez tout de même pas passer pour un ancêtre à leurs yeux ?

Le client. Eh bien…

Le vendeur. Sinon, ne vous inquiétez pas : il doit nous rester encore quelques babioles en stock qui pourront vous sauver la vie pour les quelques années intermédiaires à venir…

Le client. Et pour mon maillot de bain ?

Le vendeur. Là, je crains que vous ne soyez privé de vacances pour cette année car tous nos stocks sont épuisés. Vous savez à quel point les produits culturels partent vite de nos jours… La prochaine fois, soyez plus vigilant. Et surtout, de grâce, ne tentez pas d’utiliser un modèle datant d’une année antérieure : l’année dernière, une cliente l’a fait et a fini par se suicider tant elle a été ridiculisée au cours de ses vacances ! L’exigence intellectuelle de notre époque est vraiment terrible, vous ne trouvez pas ?

Le client. Je trouve surtout terrible le trou que je vais avoir dans mon budget avec tout ce que vous venez de me dire !

Le vendeur. Mieux vaut cela que l’ensemble des erreurs fatales que vous alliez commettre ! N’oubliez pas non plus que consommer trop peu – ou s’avérer incapable d’intégrer la faculté de consommer sans réfléchir en tant que pur réflexe conditionné – représente de nos jours un très grave délit, sévèrement puni par la loi.

Le client. J’ai tout de même l’impression de me faire sucer tout mon argent dans cette histoire…

Le vendeur. Si vous n’en avez que l’impression, c’est que notre service marketing a mal fait son travail ! Au fait, les caisses pour régler tous vos achats sont situées juste en face. Sur ce, je vous laisse et je vous dis à la semaine prochaine… pour la quinzaine du blanc ! Good buy !

 

© 2008 L'Œil

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