Dieu domestique

Il est toujours présent parmi nous. Il trône au milieu de la plus importante de nos pièces et nous passons chaque jour un minimum de trois heures à nous recueillir devant Lui. Sans Lui, nous ne sommes rien. Il est LA source de lumière facile à distinguer dans cette quête du sacré qui nous obsède tous, ce désir absolu de nous soustraire au temps profane, à ses ignobles contraintes, à sa fuite inéluctable, ce besoin cathartique de nous vider de toute pensée, de toute réflexion, de toute conscience, pour mieux nous rattacher à Sa promesse divine : la plénitude à travers l’oubli.

Il ne s’adresse cependant pas à nous directement : à travers Son effigie, de multiples voix se font sans cesse entendre, représentant toutes un culte différent en quête perpétuelle de nouveaux fidèles.

Chaque culte est diffusé depuis le ciel ou propagé dans les entrailles de la terre.

Chaque culte possède ses propres prêtres, officiant à tour de rôle à longueur de journée pour décrypter le monde et délivrer leurs interprétations des évènements, ou pour chanter les louanges de ce dieu unique que nous vénérons tous à travers maintes cérémonies exceptionnelles ou régulières.

Chaque culte possède sa grand-messe, généralement le soir, destinée à rassembler tous les fidèles autour d’un père capable de délivrer la bonne parole, d’effectuer un sermon poignant dans le but de garder sauve la morale ainsi défendue ou de confesser telle ou telle figure importante sur ses projets ou actes fondateurs. Bien entendu, de multiples messes plus spécialisées sont réparties sur toute la journée dans le but de toucher et de satisfaire le plus grand nombre de fidèles, quel que soit le domaine concerné. Il arrive bien souvent que certaines cérémonies soient menées de façon virulente par certains confesseurs dont l’aura parvient à fasciner de nombreux fidèles au point d’en faire de véritables fanatiques qui ne manqueraient pour rien au monde de tels rendez-vous. Ces prêtres s’avèrent être souvent de véritables inquisiteurs, autant capables de canoniser certains de leurs frères que de sacrifier certains adeptes pour la bonne cause tout en faisant d’eux des martyrs pour fasciner davantage les masses de fidèles avides d’enthousiasme subliminal, ou encore de diaboliser les cultes adverses et de ne voir en eux que des rassemblements d’hérétiques qu’il faut donc combattre sans relâche.

Chaque culte offre d’ailleurs inlassablement d’innombrables idoles et autres saintes reliques pour conserver ses fidèles et les galvaniser contre les ennemis hérétiques, tous jugés dangereux. Le mesure exacte du nombre de fidèles que chaque prêtre attire autour de lui au quotidien est importante car la concurrence est féroce à une époque où de nombreux fidèles s’avèrent souvent influençables au point de se convertir sans prévenir à un culte adverse en l’espace de quelques secondes et parfois même plusieurs fois dans la même journée.

Chaque prédicateur prétendant de surcroît proférer la Vérité en sa paroisse au nom d’un culte précis, les guerres de religion sont incessantes : c’est à savoir qui obtiendra à chaque instant le plus grand nombre de fidèles pour tenter d’asseoir son pouvoir sur les autres cultes de façon durable, mais la donne change sans cesse, ce qui ne fait qu’attiser la violence de chaque nouvelle croisade.

Tout ceci au nom du même dieu, le dieu Télévision, Seigneur implacable aux intentions aussi multiples qu’ambiguës, Janus insaisissable de la Connaissance et du Vide !

© 2008 L'Œil