Litiges

Deux femmes se rencontrent dans une rue située aux alentours du palais de justice.

– Bonjour Simone !

– Bonjour Nathalie, tu vas bien ?

– Ne m’en parle pas, je suis débordée ! En ce moment, ça n’arrête pas !

– Moi, c’est pareil ! C’est à se demander comment nous faisons pour tenir le rythme et garder la forme…Il faudrait tout de même que tu passes chez moi prendre un thé, cela fait si longtemps !

– Ce serait avec plaisir ! Voyons voir… Cet après-midi, je vois mon psy, je ne peux pas. Demain matin, je vois mon avocat, je ne peux pas. Demain après-midi, je revois mon psy, je ne peux pas non plus…

– Effectivement, tu es très occupée !

– Ah ! si tu savais, ma pauvre ! Je passe mon temps entre mon psy et mon avocat. C’est bien simple, ce sont mes deux contacts privilégiés en ce moment ! Par exemple, demain, je vois mon avocat parce que je suis en litige avec mon pressing…

– Ton pressing ?

– Oui, ils ont mal nettoyé un de mes tailleurs, alors je leur fais un procès. Cela m’est arrivé juste au retour de mes vacances aux îles Marquises.

– Ah oui, au fait, tes vacances ?

– Ne m’en parle pas. Je suis en litige avec le voyagiste : j’ai glissé sur un des ponts du paquebot lors de la croisière parce que le sol était particulièrement mouillé.

– Tu t’es blessée ?

– Non, mais j’ai eu très peur ! Je ne supporte pas que les choses soient à moitié faites lors de tels voyages organisés, alors je leur fais un procès.

– Je comprends mieux pourquoi tu vois si souvent ton avocat.

– Et ce n’est pas tout ! Je suis en litige avec Charles à propos des papiers du divorce.

– Ça, c’est moche. Le psy doit bien t’aider pour traverser cette mauvaise passe…

– Tout dépend duquel ! Figure-toi que j’ai changé de psy : je suis en litige avec le précédent car c’était un charlatan. Je commence cet après-midi avec un nouveau qui, je l’espère, sera beaucoup mieux. Sinon, c’est simple, je lui colle un procès aux fesses !

– Ton avocat doit bien t’apprécier comme cliente…

– Tout dépend de quel avocat tu parles ! Je suis en litige avec mon ancien avocat à propos du litige concernant le divorce avec Charles parce qu’il me défendait mal. Du coup, j’en ai engagé un autre pour le charger de tous mes litiges en cours. Pour simplifier les choses, j’en ai fait mon amant par la même occasion, ça me coûtera moins cher en frais d’avocat !

– Effectivement, je crois que cela te sera très utile ! Tiens, c’est quoi ce bleu sur ton front ? Tu as reçu un coup ?

– Ça date de cette nuit et c’est la raison pour laquelle je suis en litige avec ma porte de salle de bain.

– Avec ta porte ?

– Oui, Figure-toi que cette porte stupide est restée à moitié ouverte cette nuit, alors, forcément, lorsque je me suis levée pour aller boire un verre d’eau, je me suis cognée contre elle.

– Et tu as bon espoir de gagner ce procès contre ta porte ?

– Oui, je suis assez optimiste sur ce point, tout comme je le suis en ce qui concerne le procès que j’ai intenté contre le propriétaire de mon immeuble qui est incapable d’engager les travaux d’isolation nécessaires au confort de tous les locataires. C’est à croire qu’il gaspille son temps dans des activités bien vaines !

– Mais tu ne m’avais pas dit que c’était toi la propriétaire de l’immeuble où tu  habites ?

– Ma foi, oui, c’est bien vrai ! Où est le problème ? J’ai tout à fait le droit d’engager un procès contre moi-même !

– Oui, certainement, mais ne crois-tu pas que c’est un peu… superflu ?

– Face à la certitude d’obtenir gain de cause quelle que soit la partie concernée, je ne crois pas. Il est très difficile de gagner un procès avec de bons dommages et intérêts de nos jours… C’est une occasion en or qui se présente là et je ne vais certainement pas m’en priver !

– Oui, je comprends.

– À part ça, comment vont tes propres litiges ?

– Ma foi, ils se portent plutôt bien. Évidemment, ils me posent toujours quelques soucis çà et là, tu sais ce que c’est lorsqu’ils sont si jeunes, mais dès qu’ils seront un peu plus âgés, je suis sûre que Paul et moi pourrons faire de grandes choses avec eux.

– Oui, tu as tout à fait raison : il faut bien les faire travailler dès le départ si l’on veut qu’ils aient un avenir valable…

– Et puis, je ne te l’ai pas encore dit, mais un petit nouveau est en préparation !

– Oh, comme c’est chou ! Toutes mes félicitations !

– Merci. Il faudra que tu viennes à la maison tout de même… Je te montrerai  les dernières photos des petits que nous avons prises. Ces photos viennent d’ailleurs tout juste d’être acceptées comme pièces à conviction, ça nous a beaucoup touchés, Paul et moi…

– C’est la preuve que tes petits grandissent ! Ça me fait plaisir de voir que ta petite famille de litiges se porte bien.

– Alors tu m’appelles bientôt pour me dire quand tu passes nous voir ?

– Promis ! Je te fais la bise.

– À bientôt !

© 2008 L'Œil